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III
La secte des sorginak(1)
(…) Au début du dix-septième siècle, la secte des sorginak connut un développement extraordinaire dans le Labourd, le Béarn et la Navarre ; rapidement, les gouvernements espagnol et français voulurent intervenir, et les inquisiteurs de Logroño jugèrent les sorciers de Zugarramurdi, et le juge de Bordeaux, Pierre de Lancre, poursuivit ceux de Saint-Jean-de-Luz.
Les inquisiteurs espagnols mirent l’accent sur les détails comiques et ridicules, et leurs sentences furent douces ; le juge de Bordeaux, raffiné et mélodramatique, se montra plus dur. Les inquisiteurs de Logroño apparurent tels qu’ils étaient : de bons moines, frustes, crédules, grossiers, sans malice et sans intelligence. Monsieur de Lancre se révéla homme du monde et magistrat cruel.
À cette époque, la secte des sorginak avait vraiment prospéré ; les plus belles dames en étaient ; beaucoup de demoiselles de Saint-Jean-de-Luz, d’Urrugne, de Saint-Pée et de Sare ne s’en cachaient pas. Leurs réunions, leurs aquelarres, étaient de grandes mascarades, ou des bals à la manière des pastorales souletines, où se rendaient les personnes les plus influentes du pays, le visage dissimulé derrière un masque. Et mêmes ceux qui y assistaient n’avaient pas une idée claire de ce qui s’y passait ; certains dépeignaient des fêtes allègres ; d’autres des spectacles horribles où l’on déterrait les morts et où l’on pratiquait d’étranges rites de nécromancie.
En relevant le succès des aquelarres(2), le magistrat de Lancre disait : « On n’y voyait auparavant rien d’autre que des idiots des Landes ; aujourd’hui s’y rendent des personnes de qualité.
- C’est effrayant, ajoutait-il, le nombre de démons et de jeteurs de sorts qu’il y a au pays de Labourd. »
Qu’est-ce qui avait pu produire cette concentration inhabituelle de diables ? Monsieur de Lancre, homme perspicace à sa manière, donne l’explication suivante.
Selon lui, les missionnaires des Indes et du Japon avaient chassé de ces pays les esprits malins, et les esprits malins s’étaient réfugiés en terre basque. Pourquoi avaient-ils choisi le Labourd, et pas la Gascogne, l’Armagnac ou la Touraine ? C’étaient l’un des secrets de monsieur de Lancre.
« Le fait est, dit le magistrat en étayant son argumentation, que beaucoup d’Anglais, d’Écossais et d’autres voyageurs qui viennent chercher du vin dans cette ville de Bordeaux nous ont assuré avoir vu pendant leurs voyages des troupes de démons en forme d’hommes effrayants, qui passaient en France. »
Après avoir indiqué la probable origine des mauvais esprits, monsieur de Lancre indique les motifs pour lesquels s’est développée en Labourd cette caste maudite, et dit, en se référant aux Basques :
« Ce sont des gens qui aiment se déplacer la nuit, comme les chouettes ; ce sont des amoureux des bougies et de la danse, et non la danse reposée et grave, mais de l’agitée et de la turbulente. »
Monsieur de Lancre, Bordelais, qui savait conjuguer les obligations avec le plaisir, et qui jouait du luth pendant les interruptions des procès jusqu’à faire danser les sorginak en sa présence avant de les envoyer se faire brûler, définit ainsi les femmes labourdines :
« Elles sont légères et souples d’esprit comme de corps ; rapides et animées dans toutes leurs actions, ayant toujours un pied en l’air et, comme on dit, la tête près du bonnet.
Enfin c’est un pays de pommes ; les femmes ne mangent rien d’autre que des pommes, ne boivent rien d’autre que du jus de pomme ; ce qui explique qu’elles mordent si facilement dans le fruit interdit. »
Monsieur de Lancre était un humoriste déguisé en inquisiteur ; le bûcher, le luth et la plume étaient ses moyens pour convaincre.
La secte des sorginak basques avait quelques caractères communs avec la sorcellerie en général et de nombreuses particularités. Les sorginak ne célébraient pas le samedi, mais les autres jours de la semaine, surtout ceux des grandes solennités de l’église.
Il y eut un temps où l’on respectait et où l’on craignait les sorginak. En Navarre comme en Labourd, tout le monde se rendait à leurs réunions, qui en Navarre se célébraient dans les champs, dans les grottes et dans des sites rustiques, et en Labourd, dans les fermes et les châteaux.
Qu’est-ce qui poussait les gens à assister à ces réunions, à ces aquelarres ? Pour les uns, la promesse de bacchanales et de plaisirs, d’orgies et de bal effrénés ; pour les autres, l’inclination pour le merveilleux. Certains s’y rendaient pour recevoir des mains d’une jeteuse de sorts un philtre afin de se faire aimer, une formule ou un venin pour se venger. Les pauvres, les malheureux, rendus fous par ma faim, le désespoir et la rage, se rendaient à ces aquelarres pour insulter impunément le roi, l’église et les tenants du pouvoir…
Peut-être était-ce ceci, cette révolte sociale, l’aspect le plus profond de cette secte de sorciers. Ainsi, la sorcellerie française se mélangea à la jacquerie au milieu du quatorzième siècle, et se fit anarchiste et révolutionnaire.
La sorcellerie, qui était une rébellion face à l’église et au pouvoir, avait ses défenseurs dans les classes aisées, qui croyaient aux connaissances médicinales des sorginak.
En Navarre, les races méprisées, les cagots du Baztan, les Hongrois et les gitans, s’en rapprochèrent et les grottes, où de vieilles jeteuses de sorts faisaient leurs onguents et leurs élixirs, étaient le refuge des persécutés par la justice et des réprouvés du peuple.
Et au fond de ces cultes extravagants et barbares, battait une aspiration à la fraternité humaine peut-être plus forte que celle des églises solennelles et pompeuses, pleines d’or et de pierreries. (…)
(1) Mot basque désignant les sorcières
(2) Du basque aker : bouc et de larre : champ, soit « champ du bouc », lieu où se réunissent les sorcières. Par extension, réunion de sorcières.
Itzulpena eta orri-oineko notak:
Alexandre Hurel
(Patricia Vargas eta Christelle Fucili-rekin)
La Dame d’Urtubie et autres nouvelles basques, Pío Baroja. Arteaz argitaletxea, 2012.