(…) Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie (...)
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Le 26 avril 1937, jour de marché, le village de Gernika-Lumo subissait une terrible attaque aérienne durant plus de trois heures. L'assaut perpétré par la légion nazie Condor, avec l'aide des fascistes italiens, fit plus de 2000 morts. Le village fut quasiment entièrement détruit.
« Devant Dieu et devant l’Histoire qui nous jugera tous, j’affirme que pendant trois heures et demie les avions allemands ont bombardé avec une fureur inconnue la population civile sans défense de la ville historique de Gernika en la réduisant en cendres, poursuivant avec le feu de mitrailleuse les femmes et les enfants, qui ont péri en grand nombre en fuyant les autres étouffés par la terreur. » Jose Antonio Agirre, président du gouvernement autonome basque de 1936 à 1960
Le bombardement dirigé contre une ville à faible valeur stratégique militaire et dépourvue de défense marqua profondément les esprits. Outre la condamnation unanime par la communauté internationale, le terrible événement suscita également de nombreuses réactions dans le milieu de l'art. La plus connue est sans nul doute le tableau Guernica peint par Pablo Picasso, devenue une œuvre majeure de l'histoire de l'art. Le 1er mai Picasso s'empara de ses pinceaux et s'attela à la gigantesque toile, qu'il exposa au mois de juin 1937 à l'Exposition universelle de Paris. (Voir l'article Bilketa Les basques à l'exposition internationale de Paris en 1937). Le poète surréaliste français Paul Éluard était un ami proche de Pablo Picasso. Ils côtoyaient les mêmes cercles artistico-littéraires, aux côtés de Dora Maar, Man Ray, Louis Aragon, Henri Matisse, Jean Cocteau ou encore Alberto Giacometti. Outre leur passion commune pour l'art, les deux hommes étaient politiquement très proches : ils luttaient contre le fascisme et pour la liberté des peuples.
« (...) Tu tiens la flamme entre tes doigts
et tu peins comme un incendie. (...) »
À Pablo Picasso, Paul Éluard. 1938
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Éluard et Picasso. Juan-les-pins, septembre 1937. |
Paul Éluard (1895-1952)
Paul Éluard, né Eugène Grindel, est un célèbre poète français. Mobilisé en 1914, il est envoyé au front en tant qu'infirmier militaire avant de tomber malade et d'être renvoyé chez lui. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans un élan de pacifisme, émerge le mouvement artistique Dada. Ce collectif, qui remet profondément en question toutes les normes et limites idéologiques, esthétiques et politiques, séduit et accueille Éluard.
Éluard devient plus tard une des figures majeures du Surréalisme et rejoint par la même occasion le Parti communiste français, ouvrant ainsi la voie à une action artistique politiquement engagée. Mais en 1933, il est expulsé du parti.
En 1936, il apprend le soulèvement franquiste en Espagne et le condamne fermement. L'année suivante, le bombardement du village de Gernika lui inspire le texte suivant.
La Victoire de Guernica, 1938
Le titre du poème est au premier abord déroutant et volontairement provocateur. L'usage du mot « victoire » est ici antinomique : le poète attribue la victoire aux habitants de Gernika, faisant ainsi des victimes les héros. L'œuvre est composée de quatorze strophes, sans ponctuation ni métrique fixe. Il utilise indifféremment couplets, tercets, quatrains et quintils ; le rythme, parfois lent, parfois saccadé comme à bout de souffle, exprime la colère d'Éluard. On y dénote toutefois la grande douceur et le sens de la mesure dont fait preuve le poète à l'égard d'un peuple qui a tant souffert.